Presque immobile, Nancy, incarnée par la performeuse Dorothea Schürch, est assise de biais derrière une table en bois. Mouvements réduits, parfois une main change de position sur la surface en bois ou un pied se déplace en dessous. La tête bouge lentement et scrute le public du regard, parfois avec un sourire presque indéfinissable. Minimalisme maniéré, renforcé par un jeu d’ombre qui reflète la scène en double silhouette gauche-droite sur le mur blanc derrière la performeuse, tel un cadre en arrière fond, à proximité du corps réel. Concentration visuelle.
Et le son qui émane de ce corps de femme. D’abord, une phonation à la limite de l’inaudible. Là encore, geste minimal, pourtant on divine le travail musculaire, la vibration des cordes vocales. Grincements, bouche fermée, respiration à obstacle. N’entendant jamais aucun son qui s’approche de la voix parlée, je pense au corps en ‹devenir animal›. L’idée de l’animalesque est renforcée par l’écharpe en poils noirs et la pièce en poils blancs que «Nancy» tient dans la main sur ses jambes.
S’ensuit l’augmentation du volume de la phonation, alternance et fragmentation, tel un discours sans parole, sans que la performeuse change l’essentiel du registre sonore. Le tout aboutit dans une amplification traitée par Thierry Simonot. Le son remplit tout l’espace, il se détache carrément de ce corps de femme figé. Comme devenir bête féroce rien que par la (non)voix. La déshumanisation totalisante du personnage en quelque sorte, puis tout s’arrête.
Nancy se lève et quitte l’espace avec un léger trébuchement, indice de perte de maîtrise, et elle disparaît dans une ouverture dans le mur. Mise en scène parfaite du conduit respiratoire : le corps bordé de ses deux silhouettes rappelait les cordes vocales et la trachée, condition physiologique nécessaire pour émettre du son, la disparition dans une ouverture rien que fente banale symbolise son anéantissement.
Histoire à méditer. Sur la femme objet, sur les femmes qui existent à ‹l’ombre› de leur homme, peut-être. Dans un contexte plus spécifiquement Suisse, la magnifique performance de Dorothea Schürch me rappelle aussi la longue Histoire des femmes laissées sans voix. Nancy n’est qu’un prétexte. Elle aurait pu s’appeler «Olimpia», personnage d’une nouvelle de E.T.A. Hoffmann.
Dorothea Schürch est la maitresse sonore du «empty voice», die «leere Stimme», concept qui habite son travail et remplit notre imagination. Her absolute capacities.